Retour sur la saison 4 de "Mon Handicap met les Voiles"

Publié le mercredi 31 janvier 2024

Alors que les premiers cycles d’initiation de l’année 2024 se profilent déjà à l’horizon, celles et ceux qui font vivre le projet "Mon Handicap met les Voiles" reviennent pour nous sur une quatrième saison riche en partage et en émotions. Reportage.

Ils sont éducateurs, enseignants, moniteurs de voile ou bénévoles de l’association. Ils sont les acteurs majeurs d’un projet qui a vu le jour en septembre 2020, à l’initiative de Des Pieds et Des Mains, et qui a permis, depuis, à plus 400 personnes en situation de handicap - en majorité des jeunes - d’être initiées à la voile handivalide. À travers leurs témoignages, on replonge aujourd’hui dans une année 2023 encore une fois bien remplie, à commencer par le stage organisé fin avril, à l’ENVSN, en partenariat avec le Comité départemental du Sport Adapté du Morbihan. Un séjour d’une semaine qui, grâce au soutien de la Fondation d’entreprise OCIRP, a vu treize jeunes en situation de handicap mental, tous scolarisés à l’IME Le Bois Lisa de Séné (Morbihan), découvrir les joies de la navigation dans la baie de Quiberon, en même temps que dix jeunes orphelins bénéficiaires de l’OCIRP. Embarqués à bord de voiliers habitables, ils ont vécu une expérience humaine hors du commun, en mer mais aussi à terre. Une semaine inoubliable, pour eux comme pour nous, fiers aussi d’avoir relevé ce beau défi !

"J'ai trouvé le concept génial, réagit Franck Besnier, l'un des moniteurs de voile chargés d'assurer l'encadrement et la sécurité. Les jeunes ayant le plus de capacités nous ont aidés à encadrer ceux ayant davantage de difficultés, un peu comme des seconds capitaines. Il y a eu beaucoup d'écoute, de partage et de bienveillance à bord. Et surtout énormément de rires ! Tout ça a permis aux jeunes handi de réussir à verbaliser leurs émotions, à dépasser leurs limites, se félicite celui qui exerce au CN Lorient. Le pari n'était pourtant pas gagné d'avance, dans un milieu hostile et sur des bateaux (First Class 7.5) assez sollicitants. Mais je crois qu'on peut dire qu'on a réussi, tous ensemble !"

« Quand le milieu est adapté, tout devient possible »

Quelques semaines plus tard, à l’approche de l’été, huit enfants handicapés, accompagnés en marge de leur scolarité par le SESSAD moteur du pôle enfance de l’APAJH 44, ont à leur tour embarqué dans l’aventure. Âgés de huit à seize ans, ils n’avaient pour la plupart "jamais mis les pieds sur un bateau, ni même jamais été à la mer pour certains, comme nous l’explique Marie Guittet, ergothérapeute au SESSAD. Au-delà de la pratique de la voile elle-même, c’était donc pour eux une grande découverte." Une découverte du milieu marin, mais aussi une prise de conscience de leurs capacités, à l’image de Joudia (9 ans) et Adèle (8 ans), atteintes toutes les deux d’une paralysie cérébrale. "Avec leur fauteuil, elles sont vite limitées dans leur quotidien. Alors diriger seules un bateau a été pour elles une immense fierté", se réjouit Marie Guittet. Un sentiment évidemment partagé par leurs parents, qui ont navigué à leurs côtés lors de la quatrième et dernière séance du cycle, et pour qui l’expérience a agi comme un révélateur. En effet, bien souvent, ces derniers n’osent pas, "par peur ou par méconnaissance", amener leurs enfants à pratiquer certaines activités comme la voile. "Ils craignent de les mettre en situation d’échec, sans forcément savoir que l’activité peut être adaptée selon le type de handicap, poursuit l’ergothérapeute. Or, quand le milieu est adapté, comme ici à l’ANCRE (ndr : le club de voile support de ce cycle), tout devient possible !"

Le handicap de Joudia et Adèle a mis les voiles sur la rivière de l'Erdre.
 

Des petits bateaux grandement épanouissants

C’est à bord des Hansa du club de La Chapelle-sur-Erdre, ces petits dériveurs inchavirables, à l’assise confortable - le siège prend la forme d’un transat - et facilement manœuvrables, à l’aide d’un joystick placé à l’avant, que les huit enfants ont appris à naviguer, sous l’œil bienveillant de Benoît Debierre, leur moniteur. "Il a été génial avec eux, salue Marie Guittet. Par sa pédagogie, il a su les rassurer et leur a donc permis de s’épanouir sur l’eau." À tel point que deux d’entre eux, Tom (13 ans) et Dalil (11 ans), aimeraient s’inscrire dans un club ! "La sensation de glisse leur a beaucoup plu, souligne Éric Brezillon, kinésithérapeute au SESSAD. À bord de ces petits bateaux, ils sont posés, leur énergie est canalisée. La voile est plus accessible pour eux qu’un sport comme le basket par exemple, du fait de leurs problèmes de coordination et de leur manque de force. Sur l’eau, ils n’ont tout simplement pas besoin de courir partout pour se déplacer", souligne le kiné, assurément conquis par le projet, tout comme sa collègue Marie Guittet : "Un immense merci à l’association Des Pieds et Des Mains d’être à l’origine de tout ça !"

Le fonds de dotation de l'entreprise CHARIER, dont plusieurs collaborateurs ont participé à la dernière séance du cycle, a remis un chèque de 8210€ à Des Pieds et Des Mains pour soutenir le projet "Mon Handicap met les Voiles".
 

Au collège, la voile inclusive pour créer du lien

En Vendée aussi, "Mon Handicap met les Voiles" continue de faire des vagues. En particulier sur le plan d’eau sécurisé de la base nautique des Vallées, à Saint-Hilaire-de-Riez. C’est ici, au printemps, au milieu des marais et à l’abri des tumultes océaniques, que douze élèves de l’UEE (Unité d’Enseignement Externalisée) de l’IME (Institut Médico-Educatif) de Challans, âgés de 12 à 17 ans, ont tiré leurs premiers bords en catamaran, en compagnie de 24 collégiens d’une classe de sixième, scolarisés dans le même établissement. À bord des New Cat 12 du club de Saint-Hilaire Nautisme, des binômes handi-valides ont été formés et la mayonnaise a très vite pris ! "Avec le professeur d’EPS du collège, on a pourtant constitué les duos un peu à l’aveugle au départ, sans trop connaître le niveau en voile des uns et des autres, admet Nadège Audaire, l’enseignante de l’UEE en charge du suivi du projet. À l’arrivée, ils n’ont finalement jamais changé d’équipier, sauf lors d’une séance où le vent soufflait fort. L’entraide a parfaitement fonctionné, notamment pour celles et ceux qui avaient pas mal d’appréhension au début. Il y a eu une vraie alchimie entre eux." 

Forts de leurs différences, les élèves de l'UEE et ceux de la classe de 6ème du collège Jacqueline Auriol de Challans ont vogué ensemble, ouvrant la voie à une société plus inclusive.
 

Sur l'eau, le handicap s'efface et les barrières tombent

Ce projet inclusif, permis grâce à l’appui organisationnel et financier de l’association Des Pieds et Des Mains, ainsi que des dons des parents d’élèves de l’IME, s’inscrit pour l’établissement dans une démarche de développement de la mixité. "L’inclusion en classe n’est malheureusement pas possible, car le niveau des élèves est trop hétérogène, explique Nadège Audaire. On essaie donc de la mettre en pratique à travers d’autres activités, artistiques par exemple : court métrage, confection de boîtes de Noël… Mais bien qu’on veille à fixer des objectifs atteignables pour les élèves handi, on constate trop souvent qu’une petite barrière demeure, du fait des différences de capacités et des difficultés à communiquer. Alors que là, sur l’eau, tout le monde s’est retrouvé sur le même pied d’égalité. Ils n’avaient pas besoin de beaucoup se parler pour se comprendre, interagir et manœuvrer le bateau", apprécie l’enseignante. Quelques élèves en situation de handicap, qui avaient déjà eu la chance de bénéficier d’un cycle d’initiation à la voile, grâce à Des Pieds et Des Mains en 2021, avaient même un peu d'avance dans l’apprentissage de la navigation. "Le tutorat s’est donc parfois inversé", sourit-elle. Avant de s’enthousiasmer : "Ces quatre séances de voile, c’étaient les quatre séances de leur vie !"

Quand une image vaut mieux que mille mots pour résumer l'intérêt, et mesurer les bienfaits, d'un tel projet... © Qaptur
 

Cap sur 2024, avec toujours plus de mixité !

Le mot de la fin sera pour Anne Le Poittevin. Bénévole (très) investie au sein de l’association Des Pieds et Des Mains depuis 2022, elle a progressivement pris en main le projet "Mon Handicap met les Voiles". Un dispositif qu’elle coordonne avec passion et dont elle accompagne, dès qu’elle le peut, le déploiement sur le terrain. "C’est incroyable de voir l’énergie que nous transmettent toutes ces personnes en situation de handicap et leur capacité à naviguer différemment, sur l’eau et dans la vie", confie-t-elle. C’est sur l’eau justement, aux côtés des jeunes handicapés initiés, qu’elle a suivi le cycle mis en place avec le SESSAD moteur de l’APAJH 44, tout comme ceux proposés à des pensionnaires de l’IME du Val Lorie, au CVAN Nantes, ou encore de la SIPFP (Section d'Initiation et de Première Formation Professionnelle) Jeunesse et Avenir du Pouliguen, accueillis l’automne dernier au CNBPP, par l’intermédiaire de Philippe Chamard, un autre de nos (super) bénévoles. Dans leur sillage, près d’une centaine de nouveaux participants en situation de handicap - mental, physique ou sensoriel - vont cette année encore apprendre à naviguer, en mixité le plus souvent. "Nous souhaitons intégrer davantage les aidants dans le programme, annonce Anne. Plusieurs cycles vont donc inclure des parents, des frères, des sœurs. C’est une façon pour nous de leur offrir une forme de répit. Nous voulons aussi renforcer la participation des établissements scolaires, à travers des projets inclusifs, après l’expérimentation concluante menée en 2023 avec le collège de Challans." Deux nouveaux axes de développement pour ce beau projet, qui fêtera donc bientôt ses quatre ans et son demi-millier d’initiés !

Anne, ici à gauche, se nourrit de ces moments uniques partagés sur l'eau : "Toutes ces personnes sont merveilleusement enthousiasmantes. Je m'inspire de leurs différences et de leurs réussites, petites ou grandes. Je puise dans leur immense générosité la force d'avancer, malgré les obstacles. C'est aussi ça l'inclusion ! © Qaptur
 

Photo à la une de l'article : Qaptur
Textes : Jérémy Delaunay